Voici une réponse d'un journaliste Marocain sur place
Certains trouvent un plaisir jubilatoire à faire le parallèle entre ce qui s’est passé en tunisie et la situation au Maroc.
Risque de contagion, effet domino, réactions en chaîne…, depuis la chute du régime de Zine El-Abidine Ben Ali, le 15 janvier, on n’arrête pas de spéculer sur d’éventuels effets que produirait la révolution tunisienne sur les pays arabes et particulièrement au Maghreb. Un exercice motivé notamment par l’occurrence, dans certains de ces pays, de troubles sociaux surfant opportunément sur la conjoncture mais dont les soubassements restent liés à des revendications sociales quoique l’on en dise. De là à parier sur la chute des autres régimes ou de vouloir chercher à tout prix des points de similitude qui constitueraient le déclencheur d’un mouvement de protestation généralisé il y a un pas que seules la légèreté d’analyse ou la mauvaise foi permettent de franchir.
Dans le cas du Maroc, plus particulièrement, certains organes de presse, aussi bien nationaux qu’internationaux trouvent un plaisir jubilatoire à cet exercice de comparaison. Or, de quoi parlons-nous? Entrons justement dans ce jeu et analysons avec des faits.
Qu’est-ce qui a déclenché la révolution tunisienne ? Partie d’une protestation sociale, la revendication s’est transformée en combat pour la liberté. Liberté d’expression, liberté d’entreprendre sans se voir obligé de faire allégeance, liberté de dire que l’on pense différemment, liberté de s’associer, de se syndiquer, de faire grève, d’être inscrit sur les tablettes d’un parti autre que présidentiel…. Liberté d’être ce que l’on veut.
Le Maroc est-il dans cette configuration ? Au Maroc, le chef de l’Etat ne se réclame d’aucun parti et n’est pas un acteur du jeu politique parlementaire, exécutif ou judiciaire. Le gouvernement gère les affaires de l’Etat, réforme, libéralise ou protège, fait passer ses lois ou bute sur l’opposition et les syndicats. Faut-il rappeler les péripéties qu’a connues le Code de la route, entré au Parlement en février 2007 pour n’en sortir qu’en septembre 2010, après deux mouvements de protestation majeurs ? Le Souverain est-il intervenu dans ce processus ? Non, les institutions ont joué leur rôle.
L’empreinte du gouvernement est plus fonction de la capacité du Premier ministre à mener sa barque, à fédérer, arbitrer, trancher, que des pouvoirs qui sont octroyés à ce dernier. Le Roi règne et certes gouverne mais ses interventions dans le domaine de l’opérationnel sont celles d’un chef d’Etat qui initie des chantiers de développement… tout comme en France, par exemple, où le président Nicolas Sarkozy a imposé une nécessaire réforme des retraites ou une refonte de l’organisation judiciaire… tout comme aux Etats-Unis où le président Obama a mis sur la table une réforme du système de santé.
La liberté d’expression, d’information, d’association, de syndicalisme ou d’exercice de l’activité politique ? Parlons-en. En Tunisie, faire partie de l’opposition ou d’un syndicat vous exposait à être fiché comme potentiellement subversif et à être surveillé par la police. Au Maroc, le multipartisme existe depuis l’indépendance et il y a aujourd’hui 31 partis légalement reconnus, les plus importants bénéficiant même d’une subvention de l’Etat, fussent-ils de la majorité comme de l’opposition. On oublie l’alternance de 1998, la méthodologie démocratique et cette transhumance galopante qui fait que les rivaux d’hier se muent en alliés d’aujourd’hui.
Quelqu’un a-t-il été inquiété pour avoir fait partie du PJD ou du PSU ?
Dans le même ordre d’idées, on ne compte plus les syndicats ou les journaux qui se créent. Les unes de ces derniers sont riches en scandales, en critiques contre le gouvernement, en commentaires d’actes ou décisions qui relèvent du rôle public du chef de l’Etat et même en indiscrétions sur sa vie privée.
Des dérapages existent, certains sont sanctionnés par des lois, d’autres restent impunis. Mais on ne peut pas dire que la liberté d’expression est étouffée, ni celle de l’accès à l’information ou à Internet. Enfin, en Tunisie la société civile n’avait pas voix au chapitre. Au Maroc, non seulement elle s’exprime sans retenue mais elle est également devenue un partenaire de l’Etat. On compte aujourd’hui 40 000 associations au Maroc qui sont impliquées dans l’amélioration des conditions de vie des citoyens, l’emploi, le microcrédit, les droits de l’homme, la politique… Y a-t-il des prisonniers politiques au Maroc ? Des détenus d’opinion ? On semble oublier que le Maroc a plié la page des violations graves des droits de l’homme, qu’il y a eu une Instance équité et réconciliation, créée par le Souverain, chargée de régler les dossiers du passé, qui a levé le voile sur les exactions commises par les agents de l’Etat, qui a traité 16 861 dossiers, indemnisé 9 280 victimes et surtout permis à cette catharsis salutaire de s’exprimer publiquement.
Les affaires aussi ? En Tunisie on ne pouvait prétendre être un opérateur économique de taille sans être associé au régime et certains vont même à faire un parallèle avec le Maroc. Ils doivent bien mal connaître le Maroc, eux qui prétendent défendre «leur» pays. Parlons-en justement et sans tabou. Le holding familial royal possède des entreprises qui sont connues, répertoriées et même pour les plus grandes, cotées en Bourse, soumises au jeu de la transparence. Mieux, ces entreprises ont de sérieux concurrents. Inwi doit se faire sa place dans un marché où l’on trouve Maroc Telecom et Meditelecom ; Lesieur Cristal coexiste avec les Huileries de Belhassan, Siof et Savola ; Attijariwafa bank fait des affaires dans un secteur bancaire où l’on compte sept banques commerciales, dont le géant BCP ; Sopriam ne détient même pas 10% du marché automobile ; Marjane-Acima doit faire face aux appétits de Label’Vie-Carrefour, Aswak Assalam et BIM ; Wafa Assurance se bat avec des mastodontes tels RMA Watanya, Axa, Cnia-Saâda et Atlanta-Sanad.
Ces concurrents paient-ils un droit de survie au régime pour entreprendre ? Soyons sérieux. Le Maroc est loin de cela, très loin. La famille royale est peut-être dans les affaires et c’est son droit le plus absolu, il n’en reste pas moins que le chef de l’Etat, garant des mêmes droits pour tous, encourage le mérite. Quoi de plus symbolique que la visite qu’il a rendue, il y a trois semaines, aux installations de Copag, concurrent le plus sérieux de Centrale laitière, filiale de SNI ? Quoi de plus visible que ces grands industriels privés qui signent des conventions d’investissement avec l’Etat pour bénéficier d’incitations et dont certains ont été décorés par le Souverain, en reconnaissance de leur mérite.
Ceux donc qui cherchent des points de similitude seraient fort bien inspirés de se pencher sur la réalité du pays au lieu de se poser en donneurs de leçons. Car les Marocains ont d’autres problèmes. Nos problèmes sont ceux du quotidien, de l’administration qui fait souffrir le citoyen, du chômeur qui n’arrive pas à trouver un travail parce que son diplôme ne vaut rien sur le marché, de l’élu local qui ne pense qu’à rentabiliser les sommes déboursées pour obtenir son siège, du gouvernant de la ville qui est incompétent, de la justice qui n’arrive pas à être efficace, de la spéculation sur le marché des produits alimentaires, de la difficulté d’obtenir une autorisation sans graisser la patte d’un responsable... Sont-ce là des raisons valables pour crier au loup ? Parfois les vrais loups sont ceux qui prennent les apparences de pauvres chèvres...
Fadel Agoumi. La Vie éco