Voici l'article paru dans la presse
Stupeur dans la vallée de la Bruche
Article paru dans les Dernières nouvelles d’Alsace le 27 avril 2005.
Proposition de reclassement en Roumanie à... 110 € par mois
Dans une ville et une vallée où se profilent des problèmes économiques, la proposition des dirigeants de Sem-Suhner ne passe pas, et avec raison !(Photo DNA)
Le fac-simile de la lettre dont nous reproduisons l’intégralité dans notre encadré ci-contre.(-)
A Schirmeck, l’entreprise Sem-Suhner licencie neuf personnes et leur propose, le plus sérieusement du monde, d’aller travailler en Roumanie aux conditions de ce pays, à 110 euros par mois ! Une offre qui suscite colère et indignation.
Implantée depuis 1968 dans la vallée de la Bruche, à Schirmeck, et spécialisée dans le bobinage des transformateurs électriques, notamment pour la branche téléphonie, l’entreprise Sem-Suhner - 43 personnes au total - vient de procéder à neuf suppressions d’emploi pour motif économique. Ces neuf salariées, toutes des femmes comme la grande majorité du personnel, ont reçu leur lettre de licenciement. Et ainsi que la loi l’exige, le patron leur propose une offre de reclassement... Mais, oh ! surprise, en Roumanie au sein de la société Système Contact-Médias-Roumanie, à 110 € brut par mois et pour 40 h par semaine...
Une chute du chiffre d’affaires de 70 %
Même s’il s’agit des tarifs pratiqués dans ce pays d’Europe centrale qui, comble de l’ironie, vient tout juste de signer son adhésion prévue en 2007 à la Communauté européenne, cette lettre (lire notre encadré) a - on s’en doute - provoqué la stupeur. Une décision difficile à prendre, selon le PDG Michel White, mais rendue inéluctable par le marché en crise de la téléphonie. « En 2000, explique le patron, notre plus gros client l’américain Lucent-Espace-Technologie a fermé sa filiale française, nous laissant une ardoise de 800 000 € ».
« Cette "catastrophe" ajoutée aux problèmes de France-Telecom et aux bas prix pratiqués sur ce marché par les pays de l’est et par l’Asie, a fait chuter notre chiffre d’affaires de 70 % », explique le dirigeant. « Il s’agit d’assurer la survie de l’entreprise. Dans la procédure que nous avons entamée, nous nous conformons à la loi. Il n’y aucune possibilité actuelle de reclassement dans la vallée de Schirmeck et aux environs. Seul notre partenaire roumain (ndlr : qui travaille en sous-traitance pour l’unité alsacienne) a répondu favorablement », se justifie Michel White, visiblement mal à l’aise.
« Nous pensions à un gag »
Les syndicats, non représentés chez Sem-Suhner, sont montés au créneau pour dénoncer ces pratiques a priori inédites tandis que les ouvrières licenciées ont pris la chose avec beaucoup de tristesse et de rancoeur. « Être congédiée après 27 ans de maison, c’est un choc. Mais cette proposition de reclassement en Roumanie nous a fait plutôt sourire car nous pensions toutes à un gag. Allez là-bas à ce salaire ! Vous vous doutez bien de notre décision », nous explique calmement Nadine en stigmatisant le laxisme d’un gouvernement qui laisse délocaliser à tout va !
« Il fallait oser ! »
C’est également ce que déplore Sylvie qui compte aussi 27 ans d’ancienneté et se retrouve du jour au lendemain sans emploi dans une vallée où il n’y a rien. « Ce reclassement proposé par la direction est lamentable. Il fallait oser le faire et ils l’ont fait. Si nos gouvernants continuent à fermer les yeux sur les délocalisations, on s’achemine vers une catastrophe économique », dénonce-t-elle, amère et lasse. Une opinion partagée par des nombreuses personnes interrogées dans la vallée qui fustigent une proposition honteuse.
Rodolphe Hammann