Alors que Grégory Benard, le jeune quader décédé en Puisaye le week-end dernier, n'est pas encore mis en terre, la cause semblerait entendue : il serait entièrement responsable de sa propre mort, simplement parce qu'il circulait en quad sur un chemin privé !
Certaine presse s'autorise même à affirmer que la victime "roulait à vive allure". Qui peut l'avoir vu ? On croit rêver !
La préfecture de l'Yonne, dans un communiqué prétendant rappeler la législation, reprend sans vérification les allégations erronées de la circulaire Olin : « […] Il est rappelé que la circulation des véhicules à moteur n'est autorisée que sur les voies ouvertes à la circulation publique (routes nationales, départementales, communales et chemins ruraux sauf dispositions contraires). [...] Un chemin non carrossable est par définition non ouvert à la circulation publique[...]. Les chemins privés sont en principe interdits à la circulation sans l'autorisation du propriétaire [...] »
Or, ceci est faux et incomplet !
Nous rappellerons donc ici l'article premier de la loi Lalonde, transféré dans l'article L362-1 du Code de l'Environnement : " En vue d'assurer la protection des espaces naturels, la circulation des véhicules à moteur est interdite en dehors des voies classées dans le domaine public routier de l'Etat, des départements et des communes, des chemins ruraux et des voies privées ouvertes à la circulation publique des véhicules à moteur."
On constate immédiatement que le communiqué préfectoral escamote les "voies privées ouvertes à la circulation publiques des véhicules à moteur".
D'autre part, s'agissant des chemins d'exploitation, l'article L162-1 du Code Rural est limpide : "L’usage de ces chemins peut être interdit au public". Ils sont donc par défaut ouverts à la circulation, et l'interdiction d'y circuler résulte d'une décision du propriétaire.
D'ailleurs, quantité de textes (décrets, circulaires, décisions de justice etc.) ont établi que la fermeture doit se faire au moyen d'une barrière ou d'un panneau "chemin privé" (principe rappelé page 8 du Guide de l'Elu, édité par le Ministère de l'Environnement en 1994), tandis qu'il est évident que le dispositif ne doit pas mettre en danger la vie des usagers.
Enfin, la "carrossabilité", comme moyen de juger si un chemin est ouvert ou non, est une invention de la circulaire Olin. Là encore, quantité de jugements ont établi que "les motifs afférents à l'état du chemin[...] et à l'inexistence d'une décision administrative de classement sont inopérants" (Chambre Criminelle de la Cour de Cassation, 8 novembre 1988). Le Ministère a même récemment reconnu que cette notion d'ouverture à la circulation publique est laissée "à l'appréciation souveraine des juges du fait", confirmant par le fait que la "carrossabilité" ne saurait s'imposer telle une règle générale. La présente affaire est elle jugée ?
Dans le cas présent, que des panneaux indiquant « propriété privée » et « interdit au public » figurent à l'entrée des parcelles jouxtant le terrain ne signifient pas que le chemin était interdit à la circulation. Si c'était la règle, quantité de chemins communaux traversant des forêts privées resteraient inaccessibles à tout promeneur. D'autre part, placardés à plus de deux mètres cinquante du sol, ces panneaux sont invisibles. Un peu de bon sens ne fait pas de mal...
Cependant, nous espérons que la justice répondra à la question suivante : "Pourquoi la chaine mortelle ne se trouvait-elle pas, bien visible, à l'entrée même du chemin privé ?" . Cette disposition plus logique aurait certainement permis d'éviter la mort du jeune Grégory.
En attendant, on ne peut que condamner cette tendance à banaliser de telles morts violentes, à excuser des poseurs de chaine ou de cables d'une incroyable et funeste inconscience, au seul prétexte que la victime -motorisée, tare suprême- se promenait dans un chemin privé. La réaction aurait certainement été fort différente s'il s'était agi d'un vététiste. Tous égaux ? on se demande... Il serait temps que le Ministère de l'Ecologie et les écologistes radicaux, que nous avions mis en garde, assument pleinement leur responsabilité dans l'apparition de ce climat délétère.
Nota : Nous tenons bien entendu à la disposition des enquêteurs et des journalistes les éléments juridiques (textes de lois, décrets, jugements etc.) sur lesquels nous appuyons nos dires.